Eric D. Widmer

Widmer E., Levy R., Giudici F. (2007). Les styles d’interactions conjugales : quel pouvoir prédictif ? In : Burton-Jeangros C. Widmer E. Lalive d’Epinay C. (eds). Interactions familiales et constructions de l’intimité. Paris, L’Harmattan, pp. 301-310.

La démonstration de l’utilité d’une typologie tient dans les phénomènes dont elle permet de rendre compte. En ce sens, une question centrale en microsociologie de la famille concerne les facteurs explicatifs du conflit conjugal et, plus loin, du divorce et de la séparation. Les typologies de fonctionnement conjugal sont-elles « utiles » en la matière ? Leurs effets potentiels ne s’expriment-ils que dans la contemporanéité d’une enquête unique ? Ou au contraire sont-ils suffisamment forts pour persister quand plusieurs années séparent la mesure du conflit ou de la séparation de la prise d’information concernant les logiques de fonctionnement conjugal? Et quelles contributions spécifiques apporte la démarche typologique, en comparaison avec des approches considérant l’effet des dimensions constitutives du fonctionnement une à une, plutôt qu’en interaction les unes avec les autres ? Voilà quelques questions qui nous semblent particulièrement importantes aujourd’hui du point de vue des méthodes utilisées dans l’analyse microsociologique des interactions conjugales.

Quelles méthodes pour quels résultats ?.

En réponse aux discours alarmistes sur le déclin du couple et de la famille, annonçant leur affaiblissement décisif, corrélatif de la modernité en marche (Popenoe 1996), et aux propos enthousiastes de certains sur les nouvelles conjugalités, prétendument mobiles, communicationnelles, centrées sur la réalisation de soi et libérées de l’essentiel des contraintes institutionnelles et sociales (Burgess et al., 1960 ; Giddens, 1992 et 1994), il y a lieu de s’interroger empiriquement sur l’état des couples actuels (Kellerhals, & Widmer, 2005; Kellerhals, Widmer, & Levy, 2003). Une question d’importance concerne les conséquences ou « propriétés » associées à différentes manières d’interagir en couple. Si, en effet, les recherches des années soixante-dix et quatre-vingt ont mis en lumière les différences structurelles fondant divers styles d’interactions conjugales, les conséquences fonctionnelles de ces mêmes styles sont encore largement méconnues. La question des propriétés des interactions conjugales peut être traitée d’une double manière. D’abord par une approche typologique qui, sur la base d’un grand nombre de variables, et d’une procédure de classification automatique (on parle en anglais d’analyse cluster), construit différents types de fonctionnement conjugal, chacun représentant une configuration propre de traits (Milligan & Cooper, 1987). Il s’agit d’une démarche que nous avons souvent privilégiée dans nos travaux avec Jean Kellerhals. Ou alternativement, en considérant l’effet des dimensions majeures des interactions familiales une à une, en s’interrogeant sur leur poids respectif plutôt qu’en les agglomérant d’emblée dans des types. Nous avons aussi utilisé cette seconde approche dans notre travail d’équipe, quoique moins fréquemment (voir par exemple, Widmer, Kellerhals & Levy, 2003 ; Kellerhals, Widmer & Levy, 2004 ; Widmer, Ghisletta, & Giudici, 2006)..

Quel pouvoir prédictif ont alors ces deux types d’approches du point de vue du conflit conjugal ? Nous commencerons par présenter les résultats issus d’une analyse de classification (Widmer, Kellerhals, & Levy, 2004b), pour ensuite comparer avec les résultats d’une analyse par modèle structural (Widmer, Ghisletta, & Giudici, 2006). Ces techniques ont été appliquées aux données de la recherche « Stratification sociale, cohésion et conflits dans les familles contemporaines » (Widmer, Kellerhals, & Levy, 2003), une grande enquête par questionnaire standardisé touchant les couples, mariés ou non, avec ou sans enfants, résidant en Suisse. L’échantillonnage était aléatoire, non proportionnel, tiré des trois régions linguistiques majeures de Suisse (Suisse francophone, Suisse allemande, Suisse italienne). Pour être inclus dans l’échantillon, les répondants devaient vivre ensemble depuis au moins un an ; ils devaient avoir au moins vingt ans, et pas plus de soixante-dix ans, et résider en Suisse (sans pour autant avoir nécessairement la nationalité suisse). La collecte des données de la première vague a eu lieu entre octobre 1998 et janvier 1999. Dans chacun des 1534 couples (mariés ou concubins) retenus, les deux conjoints ont été interviewés par téléphone, pour un total de 3'068 interviews complétées. De plus amples informations sur cet échantillon sont disponibles dans nos autres publications. En 2004, une seconde vague d’interviews a été organisée, sur la base des réponses des femmes uniquement (pour des questions d’économie). Un taux de réponses de 71% a été obtenu (n=1071). Dans les analyses qui suivent, les dimensions des interactions conjugales ont été mesurées en 1999, alors que les propriétés (conflit conjugal, satisfaction, projet de séparation ou séparation effective) ont été relevées en 2004. Cet écart temporel entre variables indépendantes et variables dépendantes permet de lever, au moins en partie, l’hypothèque du sens de la causalité, puisque les types sont antécédents aux effets qu’on leur prête, contrairement à ce qui se passe dans les analyses synchroniques où types et propriétés sont mesurés simultanément..

L’approche typologique.

L’analyse de classification (ou « cluster analysis »), permet de répartir les entités à l’étude en classes de manière exploratoire, en définissant les structures sous-jacentes aux données initiales. La recherche des classes se fait par un processus algorithmique, dont la qualité statistique n’est attestée que par l’expérience et non de manière formelle (Milligan & Cooper, 1987). En conséquence, il n’y a pas de mesures de validation statistique de la qualité des partitions unanimement acceptée et il appartient au chercheur d’en juger ceci d’après la robustesse des types obtenus face à des changements de technique de classification ou à une modification des indicateurs utilisés. L’interprétabilité des classes obtenues est bien sûr un critère important..

Plusieurs axes d’analyse sont retenus dans la littérature pour approcher le fonctionnement conjugal. L’approche d’Olson (1988), par exemple, considère la cohésion - les membres du couple et de la famille peuvent à un extrême être intégralement fusionnés, et à l’autre extrême, totalement séparés - et l’adaptabilité – ils varient de manière permanente et sans trop de raison, ou au contraire s’enferrent dans des comportements rigidifiés, sans correspondance avec les exigences et changements de leur environnement. D’autres, c’est le cas de Reiss (1971), mettent l’accent sur la hiérarchie des sous-groupes constitutifs de la famille comme facteurs d’orientation et d’organisation. En règle générale, les constructions typologiques portant sur le fonctionnement des couples ont pour l’essentiel été produites par le croisement de deux axes choisis a priori. S’inspirant de ces approches, mais s’en distinguant tout à la fois, nous avons considéré conjointement un nombre beaucoup plus important de dimensions tenant tant à la cohésion qu’à la régulation, dont on trouvera la liste dans diverses publications (Widmer, Kellerhals, & Levy, 2003). Pour faire vite, les types sont basés sur une longue série d’indices qui touchent à la fusion, la clôture, l’orientation interne, la différenciation (sexuelle) des rôles fonctionnels, la différenciation des rôles relationnels, la différenciation du pouvoir décisionnel, le statut-maître, et la routinisation de la vie familiale. Après plusieurs tentatives, une catégorisation en cinq styles d’interactions a été retenue, que nous décrivons brièvement (voir, pour une présentation plus exhaustive, Kellerhals, Widmer & Levy, 2004 ou Widmer, Kellerhals, Levy, 2004)..

For further reading, refer to the publication.



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