Eric D. Widmer

Widmer E.D., Ritschard G., Müller N. (2009). Trajectoires professionnelles et familiales en Suisse: quelle pluralisation ? In Oris M., Widmer E.D., de Ribaupierre A., Joye D., Spini D., Labouvie-Vief G., Falter J.-M. Transitions dans les parcours de vie et construction des inégalités. Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, pp. 253-272.

Tant la sociologie de la famille que la sociologie des professions affirment que les trajectoires qu’elles questionnent ont été organisées jusque dans les années 70 de manière linéaire, qu’elles suivaient une logique d’étapes clairement identifiable, respectée par l’énorme majorité des individus (Sapin, Spini & Widmer, 2007). Martin Kohli (1986), par exemple, fait l’hypothèse qu’un mouvement continu de standardisation des parcours de vie a marqué l’Occident depuis le XVIIIe siècle. Les transitions de la vie ont été progressivement prises en charge, dans la modernité, par des institutions structurant la vie sociale : école, armée, politique sociale, marché du travail, marché de la consommation, églises. Ces institutions ont défini des modèles typiques de trajectoires, en promulguant des normes d'âge (Kohli, 1986). Elles ont participé à créer un ensemble de représentations collectives et de références partagées (Lalive D’Epinay et al, 2005) concernant ce que l’on doit, ce que l’on peut, et ce que l’on ne doit pas, faire ou être selon son âge chronologique.
Cette horloge sociale indique-t-elle toujours l’heure aux parcours d’aujourd’hui ? Les sociologues s’interrogent sur le maintien de ces modèles standardisés de parcours. L’hypothèse alternative de « pluralisation » (Kohli, 1986) a gagné une popularité considérable depuis les années 70, à tel point qu’elle a aujourd’hui un statut de quasi-monopole dans les recherches sociologiques portant sur le parcours de vie. Cette hypothèse postule que la modernité est associée à une démultiplication des trajectoires empiriques, un foisonnement des possibles biographiques et un dérèglement des horloges sociales, qui s’exprimeraient dans l’impossibilité de trouver des modèles de parcours clairement identifiables, et dans l’affaiblissement des causalités sociales modulant les vies (Sapin, Spini & Widmer, 2007).
La question est alors de savoir si les trajectoires professionnelles et familiales ont effectivement répondu, pour les cohortes récentes, à une logique de pluralisation généralisée ou si les acquis de la standardisation des parcours de vie restent aujourd’hui dans l’ensemble d’actualité. Corrélative à cette première interrogation est la question du genre. Les supporters de la thèse de la pluralisation insiste sur l’affaiblissement de l’effet des grandes variables sociologiques, dont le milieu d’origine et le genre : le destin des uns et des autres ne dépendrait plus de ces facteurs largement « hérités » pour ne répondre qu’à la volonté individuelle1 ou au hasard. Une manière simple de tester alors cet effet des variables sociologiques classiques, est, précisément, de revenir sur l’influence du sexe des individus sur leurs trajectoires de vie. Après un bref rappel théorique des enjeux de l’approche des parcours de vie, autour des notions de développement familial et de carrière professionnelle, ce chapitre s’attaque à la question de la pluralisation des trajectoires de vie en l’approchant empiriquement par l’intermédiaire de mesures statistiques originales fondées sur le concept d’entropie et sur les approches de type optimal matching. Une attention toute particulière sera donnée aux différences entre cohortes, qui nous permettent d’estimer le changement social survenu durant ces 50 à 60 dernières années, et au genre, qui constitue une manière économique d’estimer le poids des structures sociales sur les parcours de vie.

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